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Entrepreneuriat – L’aventure de Paul Morlet

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Il n’y a pas si longtemps encore, on estimait que plus de 2 millions de personnes n’avaient pas les moyens de se procurer des lunettes à leur vue. La raison de cette statistique alarmante : le prix moyen d’une paire de lunettes (monture + verres) est de 470 euros pour le consommateur selon UFC que Choisir.

Mais ça, comme dirait Krys, « c’était avant »; avant que Paul Morlet, jeune entrepreneur lyonnais ne lance le concept de « Lunettes Pour Tous ». Le principe est simple, vendre des lunettes à 10 euros payées directement par le consommateur, sans qu’il n’ait besoin d’une mutuelle. Le succès est immédiat, aussi bien dans les médias qu’auprès des consommateurs. Le concept est révolutionnaire et casse très nettement le prix du marché.

L’aventure de Paul commence en 2010 lorsque, en regardant une émission de poker à la télévision, il s’aperçoit que la salle était couverte de publicité hormis sur les lunettes des joueurs. Il pense alors à créer des lunettes personnalisées : Lulu Frenchie était né.

Après avoir conquis une quarantaine de pays et fourni des lunettes aux plus grandes stars de la planète, de Lady Gaga à David Guetta en passant par le français Norman, il a décidé de s’attaquer au marché de l’optique.

Norman qui porte une paire de lunettes Lulu Frenchie
Norman qui porte une paire de lunettes Lulu Frenchie

En à peine quatre mois d’activité dans son magasin du 1er arrondissement de Paris, il a écoulé presque 15 000 lunettes et commence déjà à penser aux prochaines boutiques.

Paul est comme ça, dynamique, motivé et toujours prêt à l’action. On a décidé de l’appeler pour en savoir un peu plus sur son état esprit et sa vision de l’entrepreneuriat  en France.


Hurluberlu: Comment en es-tu arrivé à faire de l’entrepreneuriat?

Paul Morlet:  Un peu par défaut. J’ai passé un bac professionnel en informatique et réseau en alternance à la SNCF. En 2006, c’était déjà la crise, j’ai cherché un emploi pendant deux ans. J’avais réussi à mettre de côté 3 000 euros, ce qui, à l’époque, me paraissait énorme, et j’ai lancé Lulu Frenchie.

Hurluberlu: Niveau éducation, j’imagine que ça ne s’est pas super bien passé, c’est une belle revanche sur l’enseignement que tu prends?

PM: Comme souvent, on a décidé pour moi, on m’a mis là où on voulait bien me mettre et puis voilà. J’ai retrouvé un bulletin récemment et j’étais mort de rire en voyant les appréciations qui disaient que j’allais rien pouvoir faire de mon avenir. C’est sûr que 15 après, je peux clairement dire qu’ils avaient tord, je le sais, mais eux j’en suis pas bien sûr, ils sont tellement déconnectés des réalités.

Hurluberlu: Tu penses que le système éducatif français est mal fait?

PM: C’est pas qu’il est mal fait, c’est qu’il est complètement pourri; tu es orienté par des profs qui n’ont jamais travaillé. Comment veux-tu que leur histoire soit cohérente? Ils ne savent même pas où ils t’envoient lorsqu’ils t’orientent. 

« Les gens ne savent pas à quoi s’attendre. »

Paul Morlet
Paul Morlet

 

Hurluberlu: Tu es de la vielle école, c’est à dire celle qui n’a pas fait d’école. A ce propos, Paul Bocuse disait lorsqu’on lui demandait s’il avait le bac, que des bacs ils en avaient deux: un d’eau chaude et un d’eau froide, pour faire la plonge. Finalement il règne sur un empire. Révélateur qu’on peut réussir sans diplôme?

PM: (rire). Lorsque tu fais une école, tu apprends une méthode. Ce qui fait que chaque mec qui fait une école utilise plus ou moins la même méthode. Lorsque tu te lances tout seul, que tu es autodidacte, tu n’as pas de méthode prédéfinie. C’est une très grande force car tu es imprévisible. Et c’est ce qui se passe avec moi, les gens ne savent pas à quoi s’attendre.

Hurluberlu: Lunettes pour tous a nécessité de résoudre des contraintes techniques assez importantes et notamment le fait de pouvoir assembler les verres et les lunettes en une quinzaine de minutes. Comment as-tu résolu ce problème?

PM: J’ai contacté les grandes marques françaises de l’optique. Il y avait des projets en cours chez eux, mais jamais terminés. Il n’y avait pas d’énorme machine capable de produire 400 lunettes en une journée. Le marché de l’optique représente six magasins qui emploient six machines qui font simplement deux ou trois paires de lunettes par jour. Avec Lulu Frenchie, j’avais déjà des fournisseurs de montures en Chine. J’y suis retourné pour trouver des fournisseurs de verres qui sont découpés et taillés, l’interrogation était de pouvoir monter les verres sur les montures très rapidement. Il a fallu industrialiser le processus pour assembler très vite les lunettes.

Hurluberlu: La rumeur veut que Xavier Niels ait investi dans ton projet, c’est vrai ou pas?

PM: (rire), je ne sais pas, il faut lui demander. Tu sais que Xavier Niels ne vient pas par hasard à l’inauguration d’un magasin de lunettes. Mais c’est vrai qu’on se connait et qu’on aime bien travailler ensemble.

Xavier Niels au Parc des Princes pour le match Barça / PSG avec des lunettes « Lunettes pour tous »

« Je ne suis pas de ceux qui vont te dire qu’il faut faire une école en France et se barrer à l’étranger. »


Hurluberlu: On dit souvent que l’Hexagone n’est pas forcément une terre d’accueil pour les entrepreneurs, notamment d’un point de vue fiscal, est-ce que tu es d’accord avec ça?

PM: Tout dépend de ce que tu fais. Dans mon cas précis, je pense que c’est le meilleur moment pour le faire. J’arrive à un moment où c’est la crise : les gens n’ont pas beaucoup d’argent mais il y a des produits qui sont obligatoires comme les lunettes. On a donc changé le moyen de l’acheter. Dans mon cas précis, la France était l’endroit idéal pour créer cette entreprise. Il faut bien voir que chaque territoire est un marché potentiel sur lequel se confondent une offre et une demande. Si tu arrives avec une entreprise qui correspond à une demande, tu as réussi ton coup. La zone géographique est sans incidence sur le choix de ton entreprise, il faut juste être adapté à une demande.

C’est vrai qu’en France, la fiscalité est sans doute l’une des plus élevées au monde. En effet, on peut dire que c’est un problème; cependant, c’est un problème que rencontrent les gens riches. Mais je pense qu’on peut encore gagner beaucoup d’argent en France et les réinvestir de façon intelligente dans de bons endroits et en profiter pleinement.

Je ne suis pas de ceux qui vont te dire qu’il faut faire une école en France et se barrer à l’étranger. Je pense au contraire qu’il faut être un peu patriote et défendre son pays, c’est ce que je fais et ça me réussit plutôt bien.   

Hurluberlu: Si tu devais donner les qualités d’un bon entrepreneur, quelles seraient-elles?

PM: Il faut d’abord être courageux, optimiste et fédérateur, être une sorte de chef de meute. Le plus important c’est vraiment de connaître ce que l’on vend. Il faut vraiment connaître son domaine, en être un spécialiste.

« Les entrepreneurs d’aujourd’hui sont simplement des financiers, alors qu’ils devraient être des créatifs. »


Hurluberlu: Est-ce que tu sens que l’entrepreneuriat est une discipline à part entière, au même titre que la médecine ou le droit?

PM: Oui c’est clair, c’est devenu à la mode parce que toutes les écoles font des Master entreprendre et on en parle aussi beaucoup à la télévision. Mais je me sens assez différent de l’entrepreneur type; celui qui a fait une école de commerce, qui, à 28 ans, a levé des fonds et qui commence à faire du « e-commerce ». Pour moi c’est l’entrepreneur qui ne sait pas du tout ce qu’il vend et qui va parler de lever de fonds toutes les 5 minutes. Ce qu’il faut plutôt faire, c’est créer un truc, avoir des idées, et pouvoir tout contrôler. Lorsque tu es bon, les finances vont toujours suivre. Mais malheureusement les entrepreneurs d’aujourd’hui sont simplement des financiers, alors qu’ils devraient être des créatifs. Ils veulent simplement lever des fonds, prendre de l’oseille et revendre en faisant une belle plus-value.

Hurluberlu: Mais c’est un peu le rêve ultime de tout entrepreneur que de créer sa boite et de la revendre assez chère pour ne plus avoir à se soucier du lendemain?

PM: Oui c’est sûr, c’est un métier comme les autres et on le fait avant tout pour vivre. Mais il y a l’aspect création qui est aussi très important. Tu vois ce qui m’amuse, c’est qu’à 24 ans, avec un million d’euros d’investissement, on fait trembler un marché qui pèse 6 milliards avec des mecs qui ont l’âge de mes parents et qui ont commencé leur activité alors que je n’étais pas encore né.

Hurluberlu: C’est vrai que pour le coup Lunettes pour tous est vraiment très inventif..

PM: Tout a changé, le mode de fabrication, la vente et surtout le prix. On a tout cassé!

Hurluberlu: As-tu reçu des menaces venant de certains opticiens?

PM: J’en ai reçues des centaines. Simplement, que ce soit les franchisés ou les indépendants, ils sont voués à disparaître car ils ne pourront pas suivre. Pour les franchisés de chez Affllelou par exemple, ils ont investi 50 000 euros dans une franchise et on leur a dit qu’en vendant deux paires de lunettes par jour, ils allaitent être rentables. Désormais, pour être rentables, ils doivent vendre 400 paires de lunettes par jours, c’est pas tenable. Pour les indépendants, ils tirent encore beaucoup sur les mutuelles, en te faisant des forfaits adaptés à tes revenus pour utiliser tout ton crédit.

Hurluberlu: Je pense que tu as suivi le projet de Bercy sur les professions réglementées visant principalement la réforme des notaires, des pharmaciens et des huissiers. Penses-tu que Lunettes pour tous puisse amener une réforme du marché de l’optique?

PM: C’est même déjà fait puisqu’ils sont par exemple en train d’abandonner le fait que les opticiens soient diplômés pour vendre des lunettes. Je n’ai pas de diplôme d’optique, je devrais donc être hors-la-loi et pourtant personne ne m’a empêché d’ouvrir mon magasin.   

Hurluberlu: Des projets pour l’avenir?

PM: J’espère qu’on va continuer à se développer.

C’est tout ce qu’on souhaite à Paul, et on vous donne rendez-vous sur le site Internet de Lunettes pour Tous, ou directement dans la boutique, pour faire l’acquisition d’une paire de lunettes stylée et pas chère.

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