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Littérature – Yann Moix et sa deuxième Naissance

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Sept heures de vol de jusqu’à Montréal. Il me fallait un bon bouquin. J’avais repéré le prix Renaudot 2013, un pavé de mille deux cent pages dont le titre m’intriguait : Naissance. Je connaissais peu de choses sur l’auteur.
Yann Moix, diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Reims et de Sciences Po avait à mes yeux le profil de l’écrivain parfait. Il avait publié de nombreux romans dont l’un d’eux avait remporté le prix Goncourt du premier roman en 1996, Jubilations vers le ciel.

Yann Moix, un expert en matière d’écriture, j’étais sûr de ne pas être déçu.

Selon le résumé de l’ouvrage, le livre traitait principalement de la filiation au travers du rapport de l’auteur avec ses parents et de son émancipation du microcosme de la ville d’Orléans d’où il est originaire. Il s’agit d’un livre poétique au sein duquel l’auteur nous donne ses réflexions sur le monde postmoderne d’aujourd’hui.
J’ai aimé le style de Yann Moix, les images qu’il créé sont amusantes, parfois folles, parfois tristes, parfois curieuses. Les multiples successions de termes projettent le lecteur dans un monde imaginaire qu’est celui de l’enfant tout en dénonçant le totalitarisme. Tout y passe : des « exclamations » aux « gazouillis » en passant par « fascisme » et le « nazisme. » Il y a au cours du livre des expressions fascinantes: « C’étaient les ouistitis du néant. » La phrase sonne bien. Elle associe des images incongrues qui forment d’autres sonorités, plus étonnantes encore. Le style de Yann Moix est beau;  il mêle souvent une tonalité plutôt grave à une poésie fraîche et parfois lyrique.
Au-delà du style, l’auteur fait se croiser au cours du roman de multiples thèmes. La religion en est un des principaux.

« Pourquoi le fruit défendu n’avait-il point été une banane, un abricot ? »

Né circoncis dans une famille catholique, l’écrivain présente le narrateur comme un être hors-norme, pas à sa place dès le début de l’histoire. Cette incongruité de naître circoncis dans une famille catholique permet à Moix d’introduire une réflexion intéressante mais parfois confuse sur le sens que peuvent donner les religions à la société actuelle. Notamment sur le lien entre le Judaïsme et le Christianisme. L’écrivain interroge la portée des symboles en faisant usage de tournures rhétoriques qui interpellent le lecteur, à l’instar de celle-ci : « Pourquoi le fruit défendu n’avait-il point été une banane, un abricot ? »
Cette question à première vue banale et simpliste fait réfléchir le lecteur sur le relativisme ambiant de notre époque postmoderne, mais également une remise en cause permanente des principes spirituels à laquelle se prête l’écrivain.
Le rapport au corps est également un des sujets majeurs du roman. Ambiguë, sale, provocateur, Yann Moix présente le corps des femmes et des hommes de manière vulgaire. Le corps est décrit négativement et relié à la problématique de la sexualité. Moix fait dire des phrases violentes au personnage principal de l’œuvre : « je m’en vais soumettre mon squelette aux gymnastiques de l’Hadès. » L’usage du terme « squelette » en lien avec l’Enfer prend dans ce contexte une connotation morbide, tout comme la violence avec laquelle l’écrivain dépeint les scènes de relations sexuelles qu’il entretient et qui peinent à apporter au roman la force qu’elles auraient pu lui conférer si celles-ci avaient été plus simplement et poétiquement exposées.

L’objet d’art sublime son maître, pour devenir autonome.

Quant au thème majeur de l’œuvre, ce qui fait son suc, son identité littéraire, c’est la quête du « Moi » intime à laquelle l’écrivain se lance. En ce sens, Yann Moix confirme la portée universelle du dicton de Montaigne qui professe : « Chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition. » Naissance incarne la volonté de l’auteur de découvrir la nature de son soi, ce qui le constitue. Thème majeur de la littérature depuis Saint Augustin dans ses Confessions, l’écrivain tente de mettre à nu les entrailles de son moi profond à travers la poursuite de l’exercice littéraire. Cette quête du « Je » littéraire dépasse l’écrivain, alors que celui-ci écrit : « Lorsque je griffe une phrase, ma fulgurance m’épate. » L’auteur est alors dépassé par son entreprise, thème classique de la littérature ; l’objet d’art sublime son maître, pour devenir autonome.
Il m’aura finalement fallu plus de sept heures de vol pour venir à bout de la lecture du livre. Naissance est à lire si on prend le temps de s’y plonger, de revenir sur certaines phrases que l’on pourrait prononcer dans sa tête à l’infini. La fin du roman est superbe. Elle revient aux prémices de la réflexion sur la littérature conçue comme créatrice d’une nouvelle parole qui viendrait construire une langue neutre, celle du silence. Moix l’affirme lui-même : « Il s’agira de le recommencer (le monde), de trouver un Verbe neuf pour tout redire de zéro. » Mission accomplie.

Yann Moix - Naissance
Yann Moix – Naissance

 

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