Coups de Coeur

Une journée avec: Les « NUGGETS »

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Il était une fois les Sixties, il était une fois l’innocence et la violence réunies en un seul.  Il était une fois les « Nuggets ».

American [sixties] dream

Avant l’entrée en matière, définition physique : NUGGETS, c’est une compilation paru en 1972 sur le label ELEKTRA (celui des DOORS, STOOGES et de LOVE entre autre). Qu’est ce qu’on y trouve ? Des groupes ayant enregistré un ou deux 45 tours à l’époque (voir un 33 tours pour les plus talentueux [chanceux ?]) et qui sont tombés dans l’oubli peu après.
L’histoire se déroule entre 64 et 67 dans une Amérique alors envahie par le « British Beat » : Beatles, Stones, Kinks, Who, Yardbirds… Tous ces groupes au fort relent R’nB et Pop fascinent alors les jeunes américains (en particulier les blancs, en perte d’identité musicale avec le déclin du Rockabilly. Les jeunes noirs ayant encore le blues, la soul, et le mouvement Motown qui commence à sérieusement enflammer les pistes de danse). C’est alors qu’une grande partie de ces jeunes sans repère vont s’acheter une première guitare, un fut de batterie, un 45 tours, et vont commencer un peu partout dans le pays à répéter chez eux, jouer « Louie Louie » dans les clubs de la région, le rock « Garage » était né.
Étonnant paradoxe que de voir des groupes Anglo-saxon, directement inspirés de la scène Blues, R’nB, Rock’n Roll américaine, brancher les Américains sur leur propre musique qu’ils avaient oubliée.
Cela dit, passons. Tout d’abord l’objet : double 33 tours, pochette assez barrée, avec une inscription « Original Artyfacts From The First Pschychedelic Era 1965-1968 ». On tient là quelque chose d’important, chargé d’histoire, du « lourd » en quelque sorte. Après le cérémonial quasi-religieux de la pose du disque sur la platine et le crépitement du sillon, les premières notes se font sentir… Ca sent le Psyché à plein nez, ça bouillonne dans la pièce, et les ELECTRIC PRUNES jouent « I Had Too Much To Dream Last Night ». Le morceau met du temps à partir, la Fuzz résonnante capte l’attention, la voix s’élève, et décolle lors du refrain. Et nous on se met à rêver. Brutalement réveillé par la fin du morceau, trois notes de guitares et le frétillement d’un tambourin : c’est les STANDELLS qui répètent tranquillement leur leçon de British Beat. Une guitare, puis un clavier, puis une basse, et une chanson qui prouve encore une fois qu’un morceau à trois accords peut allègrement battre un titre de plusieurs minutes aux arrangements pompeux et au concept éprouvant : un modèle du genre [Dirty Water].
Belle mise en bouche avec des groupes comme ceux cités plus haut. On continue sur notre lancée avec le rythme soutenu et un clavier qui fait fortement penser aux 5 Gentlemen et leur « Si Tu Reviens Chez Moi » (Vous ne connaissez pas les 5 Gentlemen ? On y reviendra). Le trio des STRANGELOVES nous livre un morceau classique et direct. On prend [Night Time]. Arrivent alors les « Faboulus Knickerbockers » comme décrit sur la pochette de leur album : un titre « Beatlesque » où l’énergie déployée, l’interaction entre les deux grattes, et la naïveté des paroles fait mouche [Lies].
Et puis il y a les VAGRANTS. Ah, Les Vagrants… Un seul 45 tours publié, ces gars là venaient de New York, avaient une certaine classe, et une maturité dans leur reprise de « Respect » assez impressionnante. Un orgue tout simplement parfait, des chœurs approximatifs comme on les aime, et un chanteur vraiment crédible. Malheureusement pour eux [à l’heure où j’écris, le solo d’orgue résonne dans la pièce, petite pause], Aretha Franklin sortait sa version de « Respect » un mois après celle des Vagrants, les condamnant à ne pas sortir de leur club de Long Island pour le restant de leur courte carrière…

Si on apprécie le caractère jeune et rageur des groupes « Nuggets », l’inspiration ne fut pas parfois leur point fort : si lors du prochain morceau vous pensez entendre « Like a Rollin’ Stone » de Dylan, c’est normal, c’est quasiment la même chanson. MOUSE & The TRAPS nous livre quand même un titre sympa [A Public Exécution] ponctué d’arrangements bien sentis (guitare lead & orgue en particulier). On finit sur « No Time Like The Right Time » des BLUES PROJECT. Là encore, un orgue délicat rythme le morceau où les chœurs se chargent de soutenir la diatribe du chanteur. Un titre qui n’arrivera que 96ème au Billeboard Américain.
On a finit la face A, ouch… On prend le temps, certains allumeront une cigarette, d’autre iront boire, quelques uns iront se perdre dans la pochette barrée du disque (comme moi). On attend la suite, qui va être à la hauteur, je vous le dis.

Retournement du disque, crépitements, j’en passe. Si on avait gouté à l’innocence de la face A, on découvre la violence de la face B. Riff brutal, guitare fuzz, voix engagée, les SHADOW OF KNIGHT balancent « Oh Yeah » de manière impressionnante. Je suis toujours scotché par ce morceau. En passant, les SHADOW OF KNIGHT, une des meilleures formations de Chicago qui réussira à sortir deux très bon albums en 1966. On traverse l’Amérique pour se retrouver à l’ouest, à Los Angeles. Cette ville avait les DOORS, elle avait aussi les SEEDS : « You’re Pushin Too Hard » sera le gros succès du groupe. Un son inimitable (une gratte délicate, un orgue au son particulier, et la voix de Sky Saxon, chanteur-bassiste, reconnaissable au premier cri). Couplé à un autre succès « Can’t Seem To Make You Mine », le groupe aura une durée de vie correcte pour un groupe Nuggets.

SEEDS

Les SEEDS qui prennent la pose

On ne peut pas reprocher au disque d’avoir quelque moment de faiblesse, du moins c’est ce que je pense du morceau qui suit : « Moutly » des BARBARIANS, qui racontent l’histoire du batteur (Moulty justement) qui perdit sa main droite dans un accident de voiture et qui s’épanouira grâce à la musique et à son groupe. Outre l’histoire sympa, on retiendra de ce morceau l’harmonica plutôt cool.

Des faiblesses surgissent les points forts, c’est connu, et c’est ce qui arrive à Nuggets. Après l’apaisement de « Moulty », débarque un des groupe les plus talentueux du disque, les REMAINS et leur « Don’t Look Back » rageur. On imagine déjà leurs concerts déjantés à Boston dans les salles de 20m²… Tout est parfait dans ce titre, les accords qui maintiennent la chanson de manière stupéfiante jusqu’à la coupure incroyable où cette même guitare balance un riff tranchant, le chanteur nous interpelle, la basse débarque à son tour, et tout reprend de plus belle quelques secondes après. Extra.

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Les REMAINS, qui ont quand même fait les premières parties des Beatles lors d’une tournée américaine

Le disque nous offre un nouveau moment d’apaisement avec « An Invitation To Cry » des MAGICIANS. Plutôt sympa, mais trop sentimental pour nous on va dire. Et pourquoi ? Pour enchainer avec un titre symbolisant à lui seul l’esprit Nuggets « Liar Liar » des CASTAWAYS (qui apparaît sur la BO d’Arnaque, Crime, et Botanique). Mais l’aspect cool du titre n’est pas là : crée par une bande de potes dans la région de Minneapolis, ce groupe sortit un seul titre qui se plaça 12ème du billeboard durant l’été 1965 et disparu par la suite. Encore un orgue fameux, une guitare qui fait son job, une voix particulière, telle est la recette Nuggets.

Arrivant à la fin de cette face B, le disque nous achève avec « You’re Gonna Miss Me » des 13th FLOOR ELEVATORS (surement le groupe le plus connu de cette compilation avec Count Five). Machisme exacerbé, violence revendiquée, concept complètement barré (le « tougoudougoudou » que vous entendez, c’est un type qui a installé un micro dans une jarre et souffle dedans, avouez que c’est cool), les 13th FLOOR ELEVATORS venaient du Texas, et le Texas n’aimait pas ce genre de chevelu consommateur de drogues, ce qui leur créa quelques problèmes et notamment un exil en terre alliée, à savoir San Francisco. Les Punks avant l’heure.

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Les 13th Floor Elevators sur un show télé avant qu’ils soient considérés persona non grata au Texas

A l’image de Sir Edmund Hillary se reposant et contemplant la vue après avoir franchi une des faces de l’Everest, on a franchi les deux premières de Nuggets, et on ne boude pas notre plaisir.

Mais le temps du repos attendra, on a trop à faire. Mes amis, le Psychédélisme nous attend, et il est pressé d’en découdre. Passé le crépitement, la fuzz résonne de plus belle, l’harmonica semble sortir des tréfonds de nos enceintes, la rythmique se met en place, la batterie assure son rôle, le chanteur nous explique qu’il a perdu la fille qu’il aimait et on a droit à un des plus gros morceaux de Nuggets : « Psychotic Reaction » de COUNT FIVE (qui restera 12 semaines dans le TOP TEN du billeboard lors de l’automne 1966). Et le groupe lui, restera dans son fief de San Diego, ne bougeant que le petit doigt pour aller faire un show télé par ci par là. Le disque explose ensuite sur un grand classique « Hey Joe », par les LEAVES, présent sur un grand nombre d’albums Garage de l’époque (on ne parle pas d’Hendrix). Sur ce morceau, on retiendra surtout la basse claquante assez impressionnante qui semble vraiment porter l’ensemble du groupe sur toute la durée de la chanson.

Après ces deux morceaux très bon mais qui pourraient altérer l’écoute d’un auditeur n’aimant pas vraiment s’aventurer sur les chemins tortueux du psychédélisme, Nuggets lui offre sur un plateau un titre entrainant, ponctué d’un orgue (j’ai un problème avec les orgues) encore une fois à tomber par terre, des claquements de mains qui swinguent, et deux minutes de bonheur avec « Romeo & Juliet » de MICHAEL & THE MESSENGERS, on en redemande. Dernier répit avant la fin de cette face qui, je vous l’annonce, mettra votre patience et vos oreilles à rude épreuve, « Sugar & Spice » des CRYAN SHAMES, un de mes titre préféré. De la pop ensoleillé comme on en aime,  une gratte fabuleuse, un ensemble de voix qui réchauffe le cœur et l’esprit, un titre qui donne envie de sourire, même devant le dernier album des RHCP. Je vous avais prévenu, ce qui suit est à réserver pour les mélomanes complexés, les snobs inassumés, ou encore les masochistes repentis. Deux titres, deux hymnes au psychédélisme dézinguant, quoique bordées par une morale pop et garage. Comprenez : on expérimente mais on ne dépasse pas la ligne jaune de l’inutile, du pompeux, et de l’éprouvant. « Baby Please Don’t Go » des AMBOY DUKES, et « Tobacco Road » des BLUES MAGOOS sont le bouquet final de cette 3ème Face. Concernant les « MAGOOS », ces new-yorkais ont publié deux bons albums en 66 et 67 qui restent quand même moins timbrés que cet excellent « Tobacco Road ».
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Le seul disque sorti par les Blues Magoos en France (1966), un EP 45 tours comprenant « Tobacco Road » mais aussi leur excellent single « We ain’t Got Nothing Yet ». Disque côté aux alentours de 100€. « Psychedelic Sound  » indique alors la pochette…
L’esprit vidé ou en état de névrose avancée, on lance la dernière face du disque. Peu de répit pour notre pauvre personne, le CHOCOLATE WATCH BAND envoie « Talk About Girls » : assez sombre, voix grave, guitares insistantes, refrain nerveux, rien n’est fait pour nous détendre, le disque nous teste. On prend note. Puis les nuages se dispersent, le soleil pointe le bout de son nez, on respire, « Sit Down I Think I Love You » de MOJO MEN trace une nouvelle route, celle de la pop joyeuse, avec des relents de Flower Power qui commence à poindre. Le morceau suivant continue sur cette voix, « Run Run Run » de THIRD RAIL, une intro qui balance, une voix niaise, des chœurs qui assurent, les heures sombres de « Baby Please Don’t Go » et de « Tobacco Road » semblent être loin. On se met ensuite à planer avec « My World Fell Down » de SAGITTARIUS. Des chœurs à la BEACH BOYS, un morceau délicat qui fait place aux mélodies vocales, et qui s’autorise même la venue d’un violon (chose rare sur Nuggets). C’est pas tout mais où sont passés la violence et l’esprit festif du premier disque ? Les NAZZ sont là pour assouvir notre demande avec « Open My Eyes » : une énergie débordante, une solidité dans le morceau, un effet flanger sympa (bon, ils en abusent un peu, mais que voulez vous, les types de l’époque le découvrait, on leur pardonne. Regardez Hendrix sur « Electric Ladyland »).  S’en suit un gros retour aux sources avec « Farmer John » des PREMIERS (un des rares groupes latino-américain de l’époque), enregistré live (cri de groupies, claquement de mains, ambiance…). Grand classique donc avant de s’attaquer à un gros morceau, comme les 500 derniers mètres d’une ascension, il nous reste à écouter « It’s-A-Happening » des MAGIC MUSHROOMS (ils n’ont pas choisi leur nom au hasard), là encore Nuggets fait la loi, un trip barré, ponctué d’un orgue salutaire, et d’une philosophie de vie à débattre.

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Le CHOCOLATE WATCH BAND et ses bottines

Puis le son n’est plus, le bras de la platine va retrouver sa place qu’est la sienne, le disque cesse de vivre, et nous on est sonné. Il faut le dire. On vient de prendre en pleine face 4 années d’une des périodes les plus créatives, la plus intense du Rock’n Roll. Rappelez-vous « Original Artyfacts From The First Psychedelic Era »…

Bref, les NUGGETS restent une référence absolue pour de nombreux groupes (il n’y a qu’à voir la nouvelle hype concernant les STRYPES et leur « You can’t judge a book by looking at it’s cover » reprise des Shadow Of Knight). Le monde ne retiendra de ces groupes pas grand-chose, mais ils représentent une sorte de musique restée en dehors des canaux du « mainstream », de la popularité facile, même si, certains groupes, non sans un étonnement certain devant l’engouement de leurs disques rapidement oubliés, ont décidé de reprendre leurs guitares et leurs claviers et d’abandonner leur poste d’employé administratif, de buraliste, de vendeur de vélo, pour faire des concerts, jouer leurs chansons, et partager leur passion, celle de la musique simple, sans prétention, universelle.

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