Une journée avec Prieur de la Marne, ou la découverte d’un talent de Reims
C’est désormais une certitude, à Reims il n’y a pas que la Veuve Clicquot et ce diable de Prince Oniangué qui fassent chavirer les cœurs – Oh que non, les Rémois ne s’enivrent pas qu’au Champagne et aux heures passées à contempler la magie de l’illustre Raymond Kopa.
Non, leur vraie potion magique est la musique. Bien sûr, il y a Yuksek, Brodinski et The Shoes qui ont contribué à filer ses lettres de noblesse à la scène Rémoise. Mais c’était sans compter sur un drôle de barbu qui tient conférence régulière sur la place du Cardinal-Luçon, parvis de la cathédrale de la ville (qui en son temps accueillait toutes les têtes couronnées du royaume pour leur adoubement). Précision historique, puisque le protagoniste en question tient son nom de scène du plus illustre des gouailleurs de la Révolution Française, lui aussi Rémois, Pierre-Louis Prieur dit le Prieur de la Marne.
Prieur de Marne, roi du mashup « old school »
En amour comme en musique, les opposés, bien souvent, s’attirent et c’est pour ça que le mashup est beau. Terme anglo-saxon, qui désigne au sens littéral du terme un « pot pourri », le mashup est une technique qui consiste en l’association, dans un même morceau, de deux ou plusieurs titres existants, généralement les parties vocales d’un morceau sur la musique d’un autre. Si ce sont surtout les rappeurs américains des 80’s qui ont commencés à utiliser cette technique, ce sont bel et bien des artistes à consonances électroniques qui en ont fait leur fond de commerce.
Notamment le duo belge 2 Many DJ’s qui a enregistré en 2002, une galette faite de 100% mashup, «As Heard on Radio Soulwax Pt. 2» , avant que Madeon ne devienne, à 16 piges à peine, le roi intersidéral de l’exercice, avec un morceau regroupant pas moins de 35 pistes et des millions de vues sur YouTube.
Prieur de la Marne est de ce genre de génie qui peut faire du neuf avec du vieux, vous transformant un jean pourri en dernière création de mode vendue à prix d’or dans une friperie Londonienne. Sauf que son créneau à lui, ce n’est pas de compiler les noms, mais de faire se rencontrer des personnalités du passé.
Au résultat, des mélodies nonchalantes accompagnent des extraits vocaux de PPDA ou de Henry Miller.
Comme si John F. Kennedy rencontrait Salvador Dali pour une valse autrichienne ou que Rocheteau, après la déroute de Glasgow en 1976, discutait avec Daniel Balavoine pour savoir quel bar ils allaient choisir pour leur virée nocturne. C’est improbable, mais tellement agréable.
C’est ainsi que se succèdent les rencontres au sommet entre François Mitterand et Yves Simon ou entre Romy Schneider et Lucio Battisti. Plus récemment, il a mis en musique Marvin Gaye & Tammi Terrell, pour un buff du plus bel effet.
De cet univers rétro, Prieur en a tiré un album, le premier du genre, entre mélodie enivrante et beau discours. Sorti au mois de mars dernier sur le label lillois Alpage Record, il regroupe 12 titres d’une belle pop à la résonance vintage, qui ne vous laissera pas indifférent.
Ce qui fait qu’une fève de cacao et un peu de lait te donnent une crème au chocolat à tomber par terre, c’est le travail de Prieur la Marne.
Prieur de la Marne, un artiste aux origines multiples
Au-delà de son travail, le personnage en lui même est fascinant. C’est la raison pour laquelle après les mots, on a décidé de lui laisser le contrôle de l’article pour qu’il partage avec vous son univers musical.
Et quoi de mieux pour le connaître un peu plus que de lui demander sa playlist journalière…
1 GODLEY & CREME « I PITY INTIMATE WITH OBJECTS »
La sortie du lit est une étape souvent pénible que je n’affectionne pas plus que ça. J’aime bien la notion de réveil cotonneux, le passage à rêvasser entre deux états. En revanche je n’aime pas celle du lever. Ce chef d’œuvre de Godley & Creme illustre assez bien cette tranche de ma journée.
2 THE GROUPIES « PRIMITIVE »
C’est le morceau pour se mettre en route le matin. C’est un peu ma bande-son pour me rendre à la boulangerie la plus proche. Chaussures lacées. Cheveux mouillés…
3 VLADIMIR COSMA « GOTTA GET A MOVE »
C’est le morceau que j’entends dans ma tête au moment où je salue mes collègues à la machine à café, en me fendant d’une petite blague au comptable et d’un gentil compliment sur son nouveau vernis à la blonde radieuse du bureau d’à côté.
Non content d’être un hommage à ce monument qu’est Vladimir Cosma, c’est le morceau qui envoie une image positive de soi. Celle d’un type entreprenant, et avec un beau teint, droit dans ses bottes et heureux d’arriver au travail.
https://www.youtube.com/watch?v=PkbdNpoxD1Y&feature=kp
4 AIR « HIGH SCHOOL LOVER » (ROB REMIX)
Ce morceau n’a rien à voir avec Air à vrai dire… Je considère que ce groupe s’est évaporé (ah ah…) il y a déjà longtemps. En revanche, c’est l’occasion pour moi de parler de Rob. Par où commencer…
Rob est simplement une sommité, un génie dans son domaine… Comme Chassol (dont je vous parlerai plus loin) et comme tous les génies, il a le pouvoir de se manifester n’importe quand… Là, il se trouve que c’est en fin de matinée et dans un rework du « Highschool Lover » de Air, en 2000. Mais j’aurais aussi bien pu parler de Rob et évoquer sa musique au milieu de la nuit. L’album « Don’t Kill » et ses « Dodécalogues » sont de vrais bijoux, des pièces d’orfèvrerie pop comme on ne sait en faire qu’ici, en France.
Il y a du saxo à fond les manettes certes (ça se dit plus « à fond les manettes » au fait…), mais il y a du piano debout… C’est peut-être un détail pour vous…
5 VERONIQUE SANSON « CHANSON SUR MA DRÔLE DE VIE »
La « station debout » m’emmène directement à la case du déjeuner. Oui… je déjeune debout en règle générale… Je ne suis pas un gastronome, loin de là (c’est une question d’éducation). Les créneaux dédiés à l’alimentation ne sont pas vraiment des instants privilégiés pour moi. Je suis même à la limite du dérèglement alimentaire… Et il m’arrive même de manger en marchant… Mais qu’importe, c’est l’occasion de vous soumettre quelque chose de parfaitement indigeste… Mais que j’assume.
Véronique Sanson, c’est un peu comme un « american steak » de chez Sensas (à Lille). On sait tous qu’il y a quelque chose de profondément dégueu à l’intérieur. Des ingrédients douteux, du gras, du gras et encore du gras… Mais on y retourne volontiers, plus souvent qu’à notre tour, et on ne donne pas notre part au chien (j’essaie de caser un maximum d’expressions toutes faites…). Pour en revenir au sandwich de Sensas, ce n’est qu’une fois qu’on l’a fini qu’on se dit qu’il n’était pas bon. N’empêche qu’il a été avalé, et sans manières.
6 EDAN feat. Mr LIF « MAKING PLANETS »
Je n’aime ni les crudités ni les légumes, mais je me défends sur les desserts. Edan, c’est un peu mon fondant au chocolat… « Beauty and the Beat » est un pur chef-d’œuvre. Il y a chez ce nerf, parfaitement égo-maniaque soit dit en passant, une malice et une ingéniosité qui relèvent du sublime.
C’est un disque assez parfait pour un début d’après-midi, au printemps… Les références soul et pop sont digérées avec une facilité assez déconcertante, toujours avec classe et raffinement, et n’en sont que mieux servies. Les samples sortent tout seuls, comme des fulgurances arrivées de nulle part. Son flow n’en est que plus facile… Parfait pour se remettre en route alors qu’on aimerait lézarder dans un parc toute l’après-midi…
7 VIRGINIA ASHLEY « A SUMMER LONG SINCE PASSED »
S’il existe un album fait pour se rouler dans l’herbe, c’est bien celui-ci.
J’ai vécu une très belle histoire d’amour en même temps que je découvrais ce disque. Cet album me fait aussi penser à mon meilleur ami que je ne vois que trop peu. Je le réécoute, avec une certaine nostalgie ces temps-ci.
Et il devient l’album de mon petit coup de spleen de la journée… c’est ballot.
Alors s’il y avait un disque fait pour pleurer en pensant à des êtres chers, loin de nous, tout en glandant tout seul dans un parc en début d’après-midi, ce serait celui-ci. Je ne saurais que trop le recommander à toutes les âmes pleines d’empathie et de compassion.
8 CHASSOL « EASTON »
Je parlais d’amour, de compassion, d’empathie, de bienveillance… Et bien voici le génie musical et la virtuosité qui incarnent ces notions un rien désuètes… Je prends un ton béni oui oui ? Soit…
Les dieux de la mélodie existent… Ils se sont penchés sur le berceau de ce petit homme noir à la touffe foisonnante, l’incroyable Chassol. J’ai volontairement choisi un morceau de son premier spectacle « Nola Chérie ». « Easton » est une forme de mise en jambe, un prologue, une invitation à entrer dans une parade de Treme…
Avec Chassol, le réel devient mélodie. Parce qu’il a la lumière au bout des doigts. Au son de son Rhodes, n’importe quel béotien peut soudainement prendre conscience que la musique flotte au-dessus de nous, petites créatures veules, qu’est inscrite dans les éléments, depuis la création.
Chassol est un de ces bergers fous que l’on pourrait croire perdu sur sa montagne… Et pourtant c’est un guide. Je connais même des gens qui règlent leur pas dans certains de ces arpèges. Je fais partie de ce ces disciples et chaque jour je tente d’en convertir de nouveau… Là encore, je ne donne pas ma part au chien et je n’hésite pas à me répéter. Chassol est un génie. Un jour on enseignera sa musique dans les collèges et des salles de concert et des bourses à la création porteront son nom. Je n’en doute pas une seconde.
9 PRIMAL SCREAM « MEDICACTION »
Mais pour tout dire je n’écoute pas trop de musique au bureau… Et puis, la mélodie et la poésie qui flottent dans l’air… tout ça c’est bien, mais il serait temps de finir sa journée de boulot et de se mettre en route pour la première terrasse venue, avec si possible la pinte au prix du demi. Quand on arrive en ville, tout devient question d’attitude. C’est pour ça que j’ai choisi ce morceau de Primal Scream. « Medication » ce n’est que de l’attitude. Un truc à l’ancienne, déviant, mais de l’ordre de la frime pure et simple. Bobby Gillespie pourrait être un reptile. Le long de ce morceau, il change de peau pour se glisser dans celle d’un animal de nuit… à la fois séduisant et effrayant. Freaky, mais attirant.
Deux pintes. La soirée ne fait que commencer…
10 JACUZZI BOYS « BLACK GLOVES »
J’adore ce groupe. Ils sont hyper sexy sur scène et le chanteur est très fun à la ville comme sur scène. Ce genre de morceau est fait pour boire des verres avec des amis les soirs où on a décidé de lâcher le guidon. On a vite fait de danser comme un vieux ringard sur ce style de musique… mais qu’importe. Quand on commence à danser, il y a fatalement un moment où on aura l’air con… Autant que ce soit fait maintenant et qu’on n’en parle plus.
11 JAMIE XX « SLEEP SOUND«
C’est l’heure à laquelle je clive… C’est l’heure du beat. L’happy hour est terminée et il est temps de passer à autre chose. Ce morceau de Jamie XX est d’une sensualité rare. C’est un peu la bande-son de la première approche, celle qui reste de l’ordre des échanges de regards… Je m’imagine plein de choses avec cette inconnue de 19 ans à peine, qui se tient à l’autre bout du bar…
12 MONEY PENNY PROJECT « LE CERCLE (the Swizz Poney Remix by Octet)
Finalement, d’un commun accord, sans même nous parler, nous avons décidé elle et moi qu’il ne se passerait rien ce soir. C’est mieux comme ça…
La sensualité au placard… Voici le morceau pour passer d’un état à l’autre. Lâcher l’guidon…
Tout est permis et à partir de maintenant, je n’ai plus la tête à noter quelle track est idéale pour tel ou tel moment de la nuit…
13 BIBIO « QUANTOCK »
Huit heures se sont écoulées entre Le Money Penny Project et maintenant. Je suis allé dans des endroits sordides. J’ai suivi des gens peu recommandables et sans aucun style. J’ai engagé engagé des douzaines de conversations sans queue ni tête, et esquissé deux trois pas de danse dont j’aurais pu me passer… Quand je sors avec mes amis, c’est différent. Ils ne peuvent qu’être d’accord.
J’ai dépensé sans compter et je n’ai pas noté les morceaux que j’ai entendus cette nuit. Si ce n’est une version karaoké de « I Follow » chantée par une vilaine fille au fond d’un resto chinois. Je vous l’épargne.
Il est vraiment l’heure de rentrer et… je n’ai encore pas rencontré la femme de ma vie. Mais demain, c’est sûr, je la croiserai.
Et dès le réveil, je bosse une playlist sur le thème de la rencontre amoureuse…
14 IDIOMA « LANDSCAPES »
Voilà… C’était une journée relativement normale. Si nous avions été avec mes amis d’Alpage Records, la playlist aurait été vraiment différente. Je vous aurais parlé des heures de Marklion ou d’Antoine Pesle. Nous serions allés à Nantes, à Lille ou à Bruxelles et nous aurions dansé, entre amis, en toute intelligence… Mais ce sera pour une autre fois.
Merci au Prieur d’avoir joué le jeu de la carte blanche musicale, et à tous ses potes d’Alpage Record, pour leur aimable coopération.